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Démarche : Habiter la nature

Mais où sont passées les Alouettes ?

[ À La Forge, le 2 juillet 2020, écrit de Sophie Douchain ]

Photo-montage d’Alex Jordan

1er café-rencontre des “petits” agriculteurs de Molliens-au-Bois

La plupart des agriculteurs du coin sont originaires du Nord ou du Pas-de-Calais de par leurs parents ou leurs grands-parents. « La Picardie c’est une Terre de passage ». A l’époque, toute personne non native de Molliens était considérée comme un étranger et venir d’un autre pays, n’était pas bien vu du tout.

Lors des deux guerres, beaucoup de belges ont fui leurs pays. Certains sont restés ou revenus et nombre d’entre eux sont devenus agriculteurs, aidés peut-être par des prêts de leur gouvernement. « Eux descendaient avec de l’argent. Un agriculteur belge pour 300 ha en moyenne entre les deux guerres ».

Pendant la guerre de 14, Molliens était une arrière-garde. Les soldats venaient se reposer, notamment les anglais, et il y avait un coin où les chevaux du front venaient se faire soigner.

En 40, Molliens n’a pas été évacué. Le village faisait partie de la zone occupée. Une des participantes fait part d’un souvenir d’une octogénaire du village : « la guerre à Molliens, c’était gai, il y avait les allemands, on rigolait avec eux et tous ceux d’Albert qui restaient là. Ça mettait de l’ambiance dans le village, alors que pendant le confinement c’était le désert et pas marrant du tout ».

Aujourd’hui « un village comme Molliens, des vaches y en a pratiquement plus. L’agriculture d’aujourd’hui c’est boulot, boulot, rendement. Ils n’ont pas le choix, ils sont pris dans un engrenage. Que nos parents, c’était dur, tout se faisait à la main. C’était physique, mais il y avait entre villageois une entente. La moisson ne se faisait pas seule, tout le village participait. Même ceux qui n’avaient pas de ferme donnaient un coup de main aux agriculteurs. A la fin de la moisson, le premier qui avait fini mettait un bouquet. Il y avait des coutumes. Maintenant l’ambiance du village c’est différent, on ne connait plus les habitants, c’est dortoir ».

Les participants de ce premier café ont vécu la transition de la mécanisation, le passage du manuel à la robotisation. Maintenant pendant que le tracteur, à l’aide du GPS et d’un petit logiciel, fait le job tout seul, il est possible de faire autre chose. Avant la traite de 45 vaches à deux prenait 2h30, maintenant le robot en passe 60 en une heure.

Les machines d’aujourd’hui doivent être changées en moyenne tous les 7 ans à cause de l’électronique, et trouver du matériel d’occasion devient difficile parce que tout part dans les pays de l’Est ou au Maroc. « Avant, on faisait 30 ans avec un tracteur, maintenant c’est 7 ans à cause de l’électronique qui déconne et après, il faut réinvestir pour ne pas payer de charges sociales. C’est plutôt la fiscalité qui est à revoir que l’agriculture par elle-même. Nous, on connait un monsieur, il a gardé 40 ans sa moissonneuse-batteuse. Aujourd’hui, garder une machine 40 ans, ça ne se voit plus. La vie était dure mais elle était plus agréable. Aujourd’hui, tous les jours et demi, il y a un agriculteur qui se suicide, parce que les gens s’endettent parce qu’ils ne sont pas maitres de leur situation. A quel moment est-il encore possible de tenir dans cette compétition de rentabilité ? ».

Comme beaucoup de domaines, l’agriculture a subit de nombreuses mutations, dont la reprise de la ferme et des terres : « nous étions 5 et il n’était pas question de partager la ferme en 5. Automatiquement, il a fallu faire des choix dans la famille. Y a eu des frictions, ça pouvait pas être autrement. On n’est pas préparé à dire que ce sera untel qui reprendra la ferme. Le droit d’ainesse a existé longtemps. En Bretagne, c’était le châtelain qui décidait à la tête des enfants ce qu’il ferait plus tard, lui il ira à l’armée, l’autre dans le clergé et celui-là reprendra la ferme. C’était y a pas si longtemps que ça, dans les années 60. Moi, on ne m’a pas donné le choix. J’avais fabriqué une salle de traite ambulante qui faisait 7m de châssis, on montait 3 vaches les unes derrière les autres de chaque côté, ça faisait 6 vaches, avec un toit. On allait dans toutes les pâtures. J’avais fait pas mal de matériel qu’on adaptait derrière le tracteur, parce qu’on passait du cheval au tracteur. J’avais fabriqué une remorque qu’on mettait derrière les « Taarup », c’est-à-dire, les machines à broyer l’herbe. Et puis un jour, ma mère m’a dit « tu sais, c’est pas la peine de te défoncer, la ferme c’est pas pour toi ». C’était comme ça c’est tout ».

Aujourd’hui, les enfants ont le choix de reprendre ou pas, et en général il y a toujours un repreneur parce que le travail est moins difficile, mais « c’est plus pareil, c’est plus l’amour du métier, c’est les rendements ». Mais, si un enfant veut reprendre et qu’il veut pouvoir demander des subventions, il est obligé d’être diplômé. Et les matériels étant de plus en plus sophistiqués, les dosages des traitements très précis et l’utilisation de logiciels indispensable, il devient nécessaire d’avoir une formation. Tout est fait sur l’ordinateur avec des contrôles fréquents « on leur dit de faire ça tel jour, tout est suivi, ils sont pris dans un engrenage ».

De nos jours, pour être agriculteur, il faut soit avoir beaucoup de terres, soit posséder un gros élevage, mais « c’est difficile éleveur. Les produits n’ont jamais augmenté. Le lait, il a toujours été vendu à 2 francs ».

Les CUMA (coopérative d’utilisation de matériel agricole), aujourd’hui disparues, étaient d’une grande aide pour les petits agriculteurs, bien que pour certains villages, cela n’était pas envisageable, puisque cela demandait une très bonne entente.

Se dire je vais devenir agriculteur et reprendre des terres, est impossible aujourd’hui et « de toute façon, des terres, on n’en trouve pas. Même en Bretagne, c’est dur d’avoir de la terre, dans la Creuse c’est encore possible. Au-dessus de la Loire les terres sont trop chères, la reprise est trop chère. En-dessous, y a pas de reprise, tu rentres dans la terre comme ça, tu payes le fermage et voilà ».

Certains agriculteurs louent leurs terres, mais il leur est ensuite très difficile de pouvoir les récupérer. Ils n’ont pas la possibilité de fixer le prix de la location. Cette décision revient à la SAFER ((Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) est une société anonyme, sans but lucratif, avec des missions d’intérêt général, sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances). « On n’est libre de rien ».

L’agriculture, c’est que de la magouille. Ce sont les gros qui règnent. Dans un village voisin, c’est « je bouffe tout, je bois le reste pour récupérer des terres avec des dessous de table. Le problème de l’agriculture en France, c’est les gros qui bouffent les petits. Au CUMUL (organisation agricole qui gère les reprises), en principe, un agriculteur est limité en surface, mais il arrive quand même à reprendre en mettant au nom de la femme, du fils et du petit fils. C’est une magouille phénoménale ».

« Les gens qui dépassent les 300ha se retrouvent au Touquet. C’est pas là-bas que vous nous trouverez ! ».

« On ne travaille plus avec l’état d’esprit de l’agriculture, on travaille en gestionnaire et c’est ça qui nous détruit et que nous n’admirons pas ».

La PAC (Politique agricole commune) n’a pas aidé non plus les petits et a fait beaucoup de mal dans les années 95. Des exploitants agricoles comme la reine d’Angleterre ou la principauté de Monaco possèdent chacun plus de 3000 ha de terres en Picardie, notamment dans l’Aisne, et ils bénéficient de la PAC.

Et puis, il y a la disparition des terres agricoles. En France c’est 50 ha de terres qui disparaissent par jour au profit de centres commerciaux géants comme shopping promenade au nord d’Amiens. A cause de cette disparition il est interdit de planter des bois. « On a le droit de prendre la terre pour faire des immeubles, des complexes qui vont durer 10 ans, mais on n’a pas le droit de mettre des bois ». « Alors qu’ils disent qu’on va manquer de bois d’ici peu. On bétonne tout le quartier nord, alors que le cœur de ville à Amiens c’est mort ». « Et après, on laisse des friches industrielles ». « Et après, on dit que dans un village, il faut bâtir dans toutes les dents creuses, justement pour laisser les terres agricoles à l’extérieur ».

Certaines lois ou décisions de justice sont aberrantes, surtout pour les éleveurs qui sont obligés de signer l’assurance que leurs bêtes ne seront pas source de nuisance pour le futur propriétaire du terrain voisin, citadin en quête de nature, obligeant à tuer le coq pour ne pas être réveillé au lever du soleil.

A Molliens, on trouve les 5 catégories de terre (sol argileux, calcaire, humifère, limoneux et sableux). « Mais maintenant avec les engrais on nourrit et tout pousse partout ».

Sauf que, avec les engrais et les pesticides, les alouettes, y’en a plus. Elles n’ont plus à manger.

Alors le progrès est-il un progrès ?

Action réalisée

Auteur.e.s
Sophie Douchain

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