LaForge Facebook de LaForge Au fil des jours



Démarche : Habiter la nature

Les chasseurs

[- Rencontre des Alouettes avec Christian, Gilbert, Jean Pierre, Marc, chasseurs de Molliens au Bois. À La Forge, le 24 mars 2022. Écrit de Denis Lachaud. Photo d’Eric Larrayadieu]

© Eric Larrayadieu

– On est vingt fusils à Molliens.

– La chasse, c’est différentes chasses. Il y en a qui chassent en plaine, d’autres au bois, d’autres à la hutte, il y en a qui chassent le pigeon, le gros gibier. La chasse en plaine est en train de mourir, faute de gibier.

– La chasse, aujourd’hui, c’est pire que jamais.

– Déjà vous avez très peu tiré la saison dernière.

– Cette année on n’a pas tiré le perdreau.

– Autrefois on chassait le lapin au furet. Aujourd’hui il n’y a plus de lapins, donc plus de chasse au furet.

– Les gens qui ont des parterres de fleurs sont contents qu’il n’y ait plus de lapins.

– Pourquoi ?

– Il y a des maladies. La myxomatose, le VHD (un virus hémorragique pulmonaire), d’autres causes aussi, les prédateurs, renards, buses, il y a de plus en plus de buses, d’autres causes encore, on ne sait pas, ça disparaît.

– Récemment, le lièvre avait quasi complètement disparu.

– Les renards c’est cyclique. Cette année on en a pris deux au piège qui étaient galeux

– Et nous quatre.

– Ils ont leur rôle. Le problème, c’est que l’équilibre est rompu.

– Les faisans, il y a vingt ans, on en tirait qui sortaient des cages.

– C’est pas professionnel, ça…

– Par contre, le perdreau, ça ne s’élève pas.

– Ça s’élève, mais pour le repeuplement ça ne marche pas bien

– Nous, on n’a le droit de chasser que les coqs.

– Pour ceux qui veulent chasser les poules, c’est une seule journée en plaine, une seule journée au bois.

– C’est un faisan par chasseur et par jour de chasse.

– Moi, cette année : un lièvre, deux faisans, aucun perdreau.

– Je vois un couple de perdreaux voler une ou deux fois par saison, pas plus.

– Les cultivateurs ne chassent plus, alors ils ne vont plus faire le tour de leur champ avec leur chien avant de faucher. Et souvent les moissons, c’est au moment de l’éclosion.

– Moi j’ai commencé à chasser en 1990. Le chevreuil, cette année-là, ça s’est à peu près bien passé. Le bois de Molliens (60 hectares) avait une douzaine de bracelets pour les chevreuils. Puis c’est descendu, à cause d’erreurs notamment (fin de chasse, il ne reste plus qu’un bracelet et on se retrouve avec deux bêtes tuées). On est descendu jusqu’à six. On arrive à obtenir un bracelet en plus de temps en temps. On est remonté à huit.

– Au bois, s’il n’y a pas assez de bracelets, les chevreuils mangent toutes les jeunes pousses.

– Le comptage permet d’évaluer le gibier en présence et de faire des pronostics sur la saison à venir. Il a lieu au printemps. On peut en faire un deuxième quelques jours avant l’ouverture. On fait deux ou trois traques sur 20 à 60 hectares. Les traqueurs marchent en ligne.

– On entend “Un isolé !”, “Un couple!”, “un trio !”

– C’est toute une organisation, un rituel. On le fait à Molliens depuis 1997. Avant il n’y avait pas de comptage.

– En ce qui concerne les lièvres, ça donne une indication en plus de l’Indice Kilométrique d’Abondance (IKA), et ça influe sur le nombre de bracelets. Les comptages de lièvres et de renards sont faits de nuit, à la lumière des phares.

– C’est la Fédération qui détermine le nombre de bracelets en fonction de toutes les données obtenues,. Le bracelet est un indice visuel qu’on place sur chaque animal dès qu’il a été tué. On n’a pas le droit de déplacer un animal tué avant d’avoir posé le bracelet. Si vous déplacez un lièvre sans bracelet, vous êtes passible d’amende.

– Autrefois on chassait le lièvre et c’était pas organisé. Un lièvre était vite mis dans le coffre, ni vu ni connu. Aujourd’hui, celui qui fait ça, il risque gros.

– Cette année, on a sept lièvres pour cent hectares.

– Le bracelet, ça existe depuis très longtemps pour les chevreuils.

– Tout est géré avec précision.

– Ça vous agace les comptages ?

– Ça m’agace un peu oui, on compte, on note et quand arrive la période de chasse, on ne retrouve rien. Plus de lièvre, plus de perdreau, les lapins qu’on a vus au printemps se sont évaporés. À quoi ça sert ?

– Ça permet de garder espoir.

– Et ça permet le pot d’après comptage…

– Il y a trente ans, on retrouvait à l’automne ce qu’on avait compté au printemps.

– Et l’aspect ultra-gestionnaire ?

– Non ce n’est pas gênant, au contraire, ça permet d’expliquer qu’on ne fait pas n’importe quoi, que tout est contrôlé, réglementé.

– Les chasseurs ne chassent pas n’importe où, ils chassent sur des terres déterminées, ils ont des permis, des assurances. Quand ils chassent sur les terres d’un agriculteur, ils le dédommagent.

– Ceux qui ne chassent pas, dès qu’ils entendent un coup de fusil, c’est la catastrophe. On est considérés comme des pestiférés.

– Moi j’ai un peu honte parfois de dire que je suis chasseur. Un jour j’ai tué un faisan, j’étais content et quand je suis arrivé à la route, il y avait une voiture. J’ai eu le réflexe de cacher le faisan. Ce n’était pas réfléchi, je l’ai caché ! Quand on est un chasseur, on est un salaud, un viandard. On se fait insulter, agresser, c’est courant. Moi j’en ai marre.

– Vous êtes posté dans la forêt et les voitures klaxonnent pour faire fuir le gibier.

– Tous les journalistes sont contre la chasse. On a 7 à 8 morts par an et c’est malheureux, chaque accident est un accident de trop, mais, vous avez 140 noyades ou 3000 morts sur les routes et ça ne fait pas les gros titres. Nous, à chaque accident, tous les médias en parlent pendant trois semaines. Heureusement  qu’il y a la guerre en Ukraine en ce moment, on a arrêté de parler de cette jeune femme qui a tué quelqu’un parce que la balle avait ricoché.

– Il faut rappeler qu’il y a malheureusement des accidents mais qu’il y a des consignes très strictes, qu’on prend le maximum de précautions, qu’on doit refaire un stage sécurité tous les dix ans.

– Il y a plein d’idées fausses. Les gens voient une lunette sur le fusil, ils imaginent que c’est une lunette qui grossit pour tirer à 200 mètres, comme dans les films américains, alors qu’il s’agit juste d’un point rouge pour mieux viser et qu’en général on tire à 50 mètres.

– Les carabines, ça tire loin. Moi je ne suis pas pour les carabines. D’ailleurs elles sont interdites dans certains bois.

– Chasser à Molliens, ça coûte 220 euros par an.

Dans la forêt de Crécy, c’est 160 euros la journée de chasse.

– C’est pas cher. En général, c’est plutôt 200 à 250 euros.

*

JEAN-PIERRE – J’aimerais que chacun réponde à la question suivante : pourquoi je chasse ?

Et je vais commencer.

J’avais un parrain cultivateur. Quand j’étais gamin j’allais chez lui. On chassait un lièvre et on rentrait. Quand son fils s’est mis à chasser, j’ai été porte-carnier. J’y ai pris goût. Je suis entré dans la société de chasse et j’y suis toujours. J’étais chasseur en plaine, mais le gibier se raréfie. Je n’ai même plus de chien. Il s’ennuierait le pauvre. J’ai pris un bout d’action dans une forêt.

Et je précise, ce que je chasse, je le mange et je me régale.

Une de mes fiertés c’est quand mes petits-enfants mangeaient du sanglier ou du chevreuil quand ils venaient chez moi le mercredi. Après ils disaient à leurs copains “J’ai mangé du sanglier !” et c’était quelque chose.

CHRISTIAN – C’est une histoire de famille. Mon grand-père chassait, mon père chassait. Je m’y suis mis dès le plus jeune âge. Sur une photo, j’ai quatre ans et je tiens un lapin…

Mon premier permis date de 1961 Ça fait plus de cinquante ans. Je suis arrivé à Molliens en 1971. Je suis entré dans la société dès la première année.

Au cours de ma vie, j’ai pratiqué différentes sortes de chasse : en plaine, au bois, à la hutte de nuit dans la marais, à la botte pour la bécassine. La bécassine, c’est un gibier royal. Le gibier migrateur par excellence. Il arrive une nuit. C’est passionnant.

La chasse à la hutte, c’est très convivial, la nuit, entre amis. Il est arrivé que mon épouse m’accompagne. Dans les bois, en pleine nature, c’est aussi très convivial. Les cerfs, les biches, c’est un spectacle phénoménal.

La prolifération des sangliers nous a fait du mal. On nous en rend responsable et ce n’est pas tout à fait faux. Il y a 50 ans, il n’y en avait pratiquement pas. On en a voulu plus. On a limité les tirs sur les laies, or elles font deux portées par an. On s’est mis une balle dans le pied. La prolifération a permis des adjudications à des prix démentiels. Le prix des actions est monté. Le sanglier est devenu le gibier roi.

Et depuis, la fédération des chasseurs paie les dégâts aux agriculteurs.

– Je reviens sur la bécassine. Il y en a trois sortes : la bécassine sourde, elle ne décolle pas, il faut vraiment mettre le pied dessus pour qu’elle bouge ; la bécassine des marais ; la bécassine double, deux fois plus grosse, elle est protégée.

– C’est minuscule, une bécassine. Très difficile à tirer.

– La bécasse aussi, c’est un beau tir.

– À noter que la bécasse, on la plume mais on ne la vide pas. Dans ma vie de chasseur, j’ai dû tuer cinq bécasses. Elle a un vol très particulier. C’est un animal malin.

– Il y a plus de bécasses près de la mer. Elle suit les côtes pour migrer.

GILBERT – Dans ma famille, personne ne chasse. Quand j’ai atteint la quarantaine, j’ai passé mon permis de chasse, sans raison particulière. Je me suis dit pourquoi pas. Je l’ai eu mais je n’ai pas réservé pour chasser. Deux jours avant l’ouverture, un agriculteur m’a appelé et m’a proposé une carte. J’étais à Rouen. Je suis rentré le samedi, je suis allé au magasin de chasse, j’ai acheté des bottes, un pantalon, un cartouchière, un fusil. Le dimanche matin, je suis arrivé au rassemblement au bistrot, j’étais tout neuf. On m’a dit “Tu te mets avec un groupe. Ceux qui n’ont pas de chien, dans les betteraves. Ceux qui ont un chien, dans les éteules”. Je n’ai pas de chien, je vais dans les betteraves. Derrière moi, 4 chasseurs se tirent dans les pattes. Je me dis qu’ils ne vont pas bien et je vois sortir un renard. J’ai tiré. il s’est assis. “Double-le”. Je ne savais même pas qu’il fallait doubler.

J’ai commencé comme ça, en plaine.

Un copain m’a proposé d’aller traquer au bois. Je l’ai fait une saison. L’année suivante, j’ai pris une demi-action et l’année d’après, une action complète.

Finalement, je suis moins mordu par la plaine. Les comptages, les maladies, les machines, le temps trop sec, le gibier qui disparaît… Au bois, il y a moins de surprises. On retrouve le gibier d’une année sur l’autre.

Celui qui chasse le perdreau, il a toujours les yeux en l’air. Celui qui chasse le lièvre, il a toujours les yeux au sol.

– Le lièvre, c’est bête. Le père de mon beau-père tournait autour d’un lièvre gîté, il était sur son cheval, il a fait des cercles de plus en plus resserrés, en escargot, le lièvre n’a pas bougé, il regardait, et à la fin, il s’est laissé tomber dessus.

– Un lièvre gîté, ça ne bouge pas.

– Une fois en plaine, j’ai vu un lièvre gîté. J’avais déjà tiré mon lièvre, donc j’ai dit “il y a un lièvre devant moi”, les copains ne m’ont pas cru, j’ai avancé, j’ai redit “il y a un lièvre devant moi”. Finalement je l’ai attrapé par les oreilles et je leur ai montré. “Je l’avais bien dit, il y avait un lièvre devant moi”. On a ri et on l’a laissé partir.

MARC – J’ai quatre-vingt-deux ans. Mon père était chasseur. La veille de l’ouverture, on faisait les travaux du lendemain. On fabriquait les cartouches le samedi. Le dimanche mes parents se levaient plus tôt pour traire les vaches, le chien se mettait à gueuler.

À douze-treize ans, j’avais pour mission de porter le fusil. Il fallait vérifier qu’il était bien déchargé.

J’ai eu mon premier permis de chasse en 1958. À l’époque, on avait droit à 12 perdreaux et un lièvre. Comme j’avais raté l’ouverture – j’étais militaire – j’ai eu droit à 24 perdreaux et deux lièvres et je les ai faits.

Le top, c’est de chasser avec un chien. Il y a une complicité qui s’instaure. J’adore le regarder faire. j’ai eu un chien qui tenait en arrêt plus d’un quart d’heure, un chien qui contournait l’oiseau et je pouvais le tirer au dessus de moi quand il le faisait décoller.

Le 11 novembre, c’était l’ouverture de la chasse au furet. On lâchait plusieurs furets dans le rideau Boulet quand on arrivait à 25 lapins, on arrêtait. Il y avait des lapins, à l’époque. Le gibier roi, c’était le lapin et le perdreau.

– Je croyais que c’était le lièvre.

– Non. Un lièvre, c’est con.

– Et vos enfants, vos petits-enfants, ils chassent ?

– Non.

– Les miens non plus.

– Moi j’ai un fils qui chasse.