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Démarche : Habiter la nature

Jean-Louis Christen, maraîcher

[– Rencontre des Alouettes avec Jean-Louis Christen, fondateur de L’Hortillon de Lune, maraîchage bio à Rivery. À La Forge, le 4 avril 2022. Écrit de Denis Lachaud, photographies d’Eric Larraydieu]

Dans les Hortillon de Lune, Jean-Louis Christen entouré de ses équipes et amis
© Eric Larrayadieu


J’ai commencé le maraîchage il y a 35 ans. En bio dès le départ.

Les pratiques ont évolué. Au début c’était encadré par Nature et Progrès. C’était très participatif. Un technicien passait, il observait ce qu’on faisait, les intrants qu’on utilisait… 2 fois par an il y avait une COMAC, c’était une commission mixte composée pour moitiés de producteurs et de consommateurs. Les producteurs expliquaient, « On a eu beaucoup d’eau cette année, on a été contraint de mettre du cuivre sur les pommes de terre », les consommateurs posaient des questions, demandaient des justifications…

Aujourd’hui le cahier des charges est plus strict. C’est très administratif. On a droit à ceci, on n’a pas droit à cela. Quelles que soient les intempéries, le cadre ne bouge pas.

Ça perd un peu de sens.

Si je devais définir l’agriculture biologique, je dirais que c’est un équilibre à trouver. L »idée m’est venue au cirque. On est allés voir un spectacle de funambules, très beau spectacle, histoire de la mue d’une chrysalide en insecte. Vers la fin du spectacle, un homme est entré en fauteuil roulant, il a expliqué qu’il était tombé lors d’une répétition et que depuis, il souffrait d’une hémiplégie. « Le fil, c’est comme la vie, a-t-il expliqué. On est en équilibre, on peut tomber. » Puis il s’est levé, avec son pas mal assuré et il a fait mine de marcher sur l’ombre du fil au sol…

Ça m’est resté.

Sur le terrain, je recherche tout le temps l’équilibre, un grand équilibre qui résulte de tout un tas de petits équilibres : les insectes, les apports, le temps de travail par rapport au temps à la maison… L’équilibre est instable, il bouge tout le temps, il faut constamment le réévaluer.

La production bio, dans les Hauts de France, c’est compliqué. On représente 2% des terres. On est la dernière région. Pendant longtemps, j’ai été le seul maraîcher bio, on me disait que j’avais de la chance, pas de concurrence, mais quand vous êtes seul, c’est très dur.

Au fur et à mesure c’est monté. Il y a eu de plus en plus de cadres et de cadres sup qui ont tout largué pour faire autre chose : de l’artisanat, du maraîchage, quelque chose qui a du sens.

Au premier confinement, la consommation en bio a beaucoup augmenté. Ça a été très soudain, on n’arrivait pas à suivre. Il a fallu se réorganiser, créer des circuits pour que les gens ne se croisent pas, passer beaucoup de temps en organisation, donc moins de temps sur le terrain… Pour compenser, il a fallu embaucher. EN 2020 on a fait un gros chiffre d’affaires et pourtant on a eu moins de revenus.

Puis en juin 21, après le 2e confinement, il y a eu un gros décrochage. On n’a toujours pas rattrapé cette clientèle. En parallèle, la grande distribution, voyant certains marchés lui échapper, s’est mise à faire du circuit court. Auchan par exemple.

Comme on avait embauché, on avait pas mal de charges. Le fusible a donc été mon revenu. Heureusement, j’ai une femme qui travaille à l’extérieur. Mais cette situation ne peut pas durer éternellement.

On n’est pas trop confrontés aux clients qui demandent des produits qu’on n’a pas encore, parce que ce n’est pas la saison. On a la chance de vendre sur notre terrain. Si quelqu’un nous demande des tomates, on peut lui montrer où les plans de tomates en sont.

Et puis les clients de l’AMAP se sont habitués à leur panier qui varie en fonction des saisons – on fait partie d’une AMAP depuis 15 ans.

On a aussi mis en place un peu d’achat et de revente, mais pas pour des produits qu’on a. Surtout pour des produits exotiques. Oranges, bananes…

Nos terres sont situées dans les hortillons, une partie sur Amiens, l’autre sur Rivery. On a un accès par la route. En bateau ça ne serait pas possible, ça prend une demi heure le matin, une demi heure le soir. On ne peut pas payer nos employés 1 heure par jour pour faire du bateau. On a demandé à la métropole de réserver les terres extérieures aux producteurs professionnels et de construire de petits ponts. Celles qui sont plus au centre sont occupées par des particuliers.

Au départ, j’ai suivi une formation agricole au lycée Paraclet puis une prépa pour aller en école d’ingénieur mais j’ai raté le concours.

J’ai été prof de maths et physique dans une maison rurale. Comme je sortais de prépa, ils ont considéré que j’étais le spécialiste des mathématiques modernes.

Le fait d’enseigner la physique, de devoir l’expliquer, m’a permis de comprendre des choses.

J’ai voulu partir au canada et finalement je n’ai pas pu, je me suis retrouvé à faire de la poterie. J’ai aussi été chauffeur de car, j’ai tondu les moutons… J’ai aussi travaillé pour Samara, le parc naturel, je me suis passionné pour l’archéologie, on reproduisait des pièces que les archéologues trouvaient. Quand ils ont construit la ligne de TGV, on a retrouvé un village de potiers gallo-romains. Il y avait 15 fours. J’en ai transporté et remonté un à Samara, j’ai fait de la poterie dans ce four qui avait plus de deux mille ans, c’était assez émouvant. Quand je me suis marié, j’ai fabriqué la bague de ma femme dans un tibia de bœuf. Elle l’a toujours.

J’ai commenéc le maraîchage à Bertangles, j’avais 2000m2. En 1987, j’ai trouvé des terrains dans les hortillons. En 1993, j’ai atteint la Surface Minimale d’Installation, à savoir 1, 7 hectares. J’ai pu demander des aides, acheter du matériel.

J’ai arrêté mes différents petits boulots.

C’est une époque où j’ai fait beaucoup de découvertes, C’était très riche, un retour aux bases. Quand on a fait de la chimie et qu’on commence à travailler la terre, ça devient concret.

C’est la vie, il y a un fil qui se déroule, je ne pensais pas faire de poterie par exemple.

Moi au départ, je voulais m’orienter vers la polyculture et l’élevage. Mais je n’avais rien. C’était trop difficile.

Le maraîchage, c’était moins compliqué pour se lancer.

Quand j’étais en formation, j’avais jamais entendu parler de bio. À l’époque de mon premier boulot, j’ai rencontré un collègue, il m’a passé des livres et quand j’ai voulu m’installer en maraîchage, j’ai tout de suite su que ce serait du bio.

Dès le début, j’ai eu beaucoup de choux. Un copain qui faisait son service civil en Alsace a ramené une planche pour rapper le chou. On a commencé à faire de la choucroute pour écouler les choux. Aujourd’hui on produit 8 à 10 tommes de choucroute par an. Elle peut se manger crue aussi, avec des fruits secs, un filet d’huile. C’est excellent pour reconstituer la flore intestinale après un traitement aux antibiotiques.

Si on apporte trop de matière azotée, on sensibilise les plantes aux insectes. les anciens l’ont fait quand on ils se sont aperçus que ça déclenchait une grosse croissance, mais les insectes sont venus piquer ces plantes gorgées d’éléments solubles. Qui dit piqûres dit plaies, qui dit plaies dit champignons et maladies. Il a donc fallu traiter avec des produits phytosanitaires, des pesticides et des fongicides, du désherbant aussi.

On a créé un déséquilibre.

Dans la production biologique, on observe comment fonctionne la nature et on la singe. On essaie de recréer des équilibres.

C’est un balancier.

Par exemple, concernant les choux, il faut laisser quelques plantes abîmées, plus faibles, car elle vont devenir des « plantes martyres ». Les papillons vont les choisir pour pondre. Ainsi on sait où sont les œufs, les larves.

Autre exemple, on plante en novembre des fèves car on sait qu’elles vont attirer les pucerons. Les coccinelles vont se reproduire pour manger les pucerons… On peut tolérer une petite quantité de pucerons sur nos salades.

Sur les hortillons, les bords des fossés sont enherbés. On fauche d’un côté et pas de l’autre, les insectes gardent toujours un habitat.

J’ai participé à des émissions sur France Bleu Picardie pendant 3 ans, à un rythme mensuel, en binôme avec un cuisinier. À chaque émission, je présentais un légume et il le cuisinait. J’ai arrêté quand on avait passé en revue tous les légumes. Après ça aurait été de la redite. Ils commençaient à évoquer une émission quotidienne, les télés se sont mises à débarquer sur mon exploitation, on a dit stop.

Pendant l’hiver, il y a moins d’activité. J’interviens toujours un peu comme formateur. J’ai une vingtaine d’heures dans une école d’ingénieurs en génie biologique, pour leur présenter l’agriculture bio. J’interviens aussi à l’université, sur la « lutte intégrée », l’apport d’insectes de l’extérieur, une bonne solution quand on démarre et qu’il n’y a pas de vie sur le terrain.

Il y a des élevages d’insectes. Au départ ils venaient des Pays Bas. Maintenant, des coopératives se sont montées en Bretagne.

Aujourd’hui, on assiste à une concurrence entre l’alimentaire et l’énergie, au niveau des terres. Les méthaniseurs, j’étais pour. Mais maintenant, les déjections animales ne suffisent plus, on plante du maïs pour produire du méthane.

Plus on occupe des terres pour l’énergie, moins on en occupe pour l’alimentaire…

Ce qu’il faut, c’est baisser les consommations d’énergie, sinon on n’y arrivera pas.

Au niveau des campagnes présidentielles, on voit que rien ne se passe. On a un peu le moral dans les chaussettes. On se demande où on part…

Jean Louis Christen © Eric Larrayadieu