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Al Maghazi  – مخيم المغازي

 

0 ♦  Camp d’Al Maghazi, Bande de Gaza
1 ♦ Une Citoyenne de Gaza, Denis Lachaud
2 ♦ Dessiner pour exprimer, Candide

 

 

DSC_5411Photo de notre correspondante

 


0 ♦ Al Maghazi
Camp de réfugiés palestiniens de Gaza, en Palestine

Situé dans le centre de la bande, au sud du camp de Bureij. Créé en 1949, l’un des plus petits camps dans la bande de Gaza,  en taille et en population. Établi sur une zone de 0,6 km2. 24 000 réfugiés enregistrés. Originaires de villages en Palestine centrale et méridionale.

Avec
Sept écoles, trois écoles primaires, 2 secondaires fonctionnant sur deux quarts temps. 6407 étudiants pour l’année scolaire 2004-2005. 
Un centre de distribution alimentaire
Un centre de santé
Le Comité populaire des réfugiés

En 1998, l’UNRWA fournissait une éducation spécialisée à 1264 enfants handicapés.
Aucune construction ou réparation ne peut avoir lieu tant que le blocus empêche les importations de matériaux de construction ce qui a intensifié les problèmes de la population en expansion et l’entretien des infrastructures débordant du camp.
Maghazi est caractérisé par des ruelles étroites, une forte densité de population.
Comme les autres camps à Gaza, Maghazi souffre d’un chômage élevé et de la pauvreté. Avant le blocus de la bande de Gaza, la plupart des habitants travaillaient en Israël ou dans le secteur agricole.

Principaux problèmes : pauvreté, chômage, pénurie de logements, manque d’approvisionnement en électricité.

Jumelé avec la ville de Villers-Saint-Paul, Oise.

1998, la Ville a commencé à tisser des liens avec El Maghazi et a signé le jumelage en 2002. Villers Saint Paul : 6 000 habitants sur 4,93 Km2
 

Notre correspondante là-bas : Citoyenne de Gaza

Ici, notre Citoyenne de Gaza en réunion avec le Comité populaire du camp d’Al Maghazi pour rédiger les échanges souhaités avec la ville de Villers Saint Paul

___________________________________________

 


1 ♦
Une Citoyenne de Gaza

[- De Denis Lachaud , 20 novembre 2014 -]

Ce que j’ai vécu à Gaza, c’est ce que tous les Gazaouis ont vécu. 

Depuis longtemps, nous subissions tous les problèmes liés au siège, mais grâce aux tunnels, les marchandises pouvaient passer. Après le changement en Egypte, ça s’est modifié. On a senti le vrai blocus.
Avant la guerre de 2014, on vivait déjà en manque d’eau et d’électricité. On ne bénéficiait que de six à huit heures de courant par jour. Pas plus. Et c’était devenu très compliqué de sortir de Gaza ; les étudiants inscrits dans des universités à l’extérieur ne pouvaient pas reprendre leurs études, les malades ne pouvaient pas sortir se soigner ou voir leurs proches.
En juillet 2014, ça a été un massacre. La guerre est venue, on n’avait pas encore réussi à traiter les conséquences des guerres de 2008, 2009 et 2012. Psychiquement, la population était déjà à bout.
Les gens ont reçu des appels de l’armée israélienne pour évacuer leur maison. Ça a commencé à Chejaya. Beaucoup n’ont pas cru aux appels. Ils sont restés chez eux, ils ont été massacrés. Chejaya a été détruite.
Puis les villages frontaliers ont été prévenus d’une fouille générale dans la région. On a vu des centaines de gens dans les rues. Ils ne savaient pas où aller. 
365.000 Gazaouis ont fui leur maison. 225.000 se sont réfugiés dans les écoles de l’UNRWA, se croyant en sécurité, sous protection des Nations Unies. D’autres se sont réfugiés dans des écoles gouvernementales ou chez des proches. Beaucoup sont restés dans les rues, à se déplacer avec leurs enfants.
Les infrastructures ont, elles aussi, été frappées : stations de production d’électricité, de désalinisation de l’eau, de traitement des eaux usées…
On s’est mis à déverser dans la Méditerranée des eaux usées non traitées. Il y a eu des intrusions d’eaux usées et d’eau salée dans les nappes phréatiques côtières. Sur nos côtes, la Méditerranée est polluée à 70%. On atteignait déjà 40% avant la guerre. Le problème de l’eau s’est aggravé. 5% de l’eau est potable. Le reste est pollué.
Les hautes tours de Gaza ont été détruites la dernière semaine. Les gens ont été prévenus vingt minutes avant. Quand ils ont évacué, ils pensaient que l’armée israélienne ne détruirait qu’un étage, comme elle le fait habituellement, ils pensaient pouvoir revenir. Mais les tours ont été totalement détruites. Quand vous avez vingt minutes pour évacuer, vous n’emportez pas grand-chose.

Chaque maison a été affectée. Quand elle n’a pas été totalement détruite, elle l’a été partiellement. Quand le bâtiment a été épargné, la famille a eu un martyr ou un blessé.
Parfois on entendait que dans telle ou telle famille, trente à quarante personnes étaient mortes en même temps, sur place, dans une maison bombardée.

*

Je suis née en Algérie. J’y ai grandi. Mes parents sont des Palestiniens de Gaza. Mon père est parti en Algérie pour une mission de travail.
Je suis arrivée à Gaza à l’âge de vingt-cinq ans. J’ai suivi mes parents quand ils ont décidé de rentrer. J’avais fait des études en Algérie, j’ai continué à Gaza. Des études de français et un Magister sur l’eau et l’environnement.
J’ai eu quelques emplois ; ce qui correspond à vos emplois jeunes.
Il a fallu s’adapter. On avait toujours eu la volonté de revenir vivre à Gaza, mais c’était dur. A l’époque, il y avait encore des colons partout, des check-points où nous passions des heures et des heures à attendre. Ça faisait réfléchir à l’idée de retourner en Algérie. Il y a eu des moments de dépression. Mais chez nous, les traditions contrôlent un peu tout. On doit rester auprès de sa famille.
Beaucoup de Palestiniens sont rentrés à Gaza. C’était vers 94-95, au moment du transfert à l’autorité palestinienne. Les Israéliens donnaient encore des autorisations. Après, c’était dans les mains des Egyptiens. 
Je suis rentrée par l’Egypte. C’était le seul passage. On est attaché à la terre. Et la tradition fait qu’on n’est pas forcément libre de choisir. C’est la famille qui décide.
A Gaza on est constamment tendu, déprimé, loin du monde. On a des problèmes pour accéder aux informations. Et on ne dispose pas de possibilités récréatives. Seulement la mer. Et là on nous dit « n’approchez pas, elle est polluée ».

*

Je ne veux pas être pessimiste mais je ne suis pas optimiste. Beaucoup de Gazaouis vivent encore dans les écoles, dans des conditions difficiles. Certains décident de rentrer chez eux, dans des maisons à moitié détruites. Certains y plantent des tentes. Avec l’arrivée de l’hiver, ça ne va pas être facile non plus.
Les enfants ont repris l’école. Mais comme beaucoup d’écoles sont encore occupées par des réfugiés, les enfants se retrouvent à cinquante par classe dans les écoles qui parviennent à rouvrir.
Il y a toujours les problèmes d’accès à l’eau, à la nourriture. On voit des enfants se promener dans la rue avec leur jerrican, cherchant de l’eau. 
L’agriculture vivrière a beaucoup perdu de son rendement. Des terrains ont été rasés. Il y a là aussi beaucoup de dégâts.

Durant la guerre, on vivait dans le noir et on s’attendait à la mort. Constamment frustrés, inquiets, angoissés. Il y avait des bombardements aveugles. On n’arrivait pas à communiquer avec nos proches. On avait des problèmes pour charger les téléphones et quand on parvenait à les charger, on avait des problèmes de réseau.
J’ai passé des journées à attendre, debout près de la porte, prête à fuir ; il y avait des bombardements partout.
Ça a duré cinquante et un jours.
C’était interminable.
On ne pouvait pas se déplacer. 
On ne pouvait pas sortir faire des courses. 
Beaucoup de magasins restaient fermés ou bien ouvraient sur des périodes très courtes.
On passait notre temps à attendre des (mauvaises) nouvelles.
On ne dormait pas.
On n’arrivait pas à faire quoi que ce soit, on passait notre temps à attendre. 
Soit une bombe, soit des mauvaises nouvelles.

Le problème c’est que les Israéliens ont la force du soutien des Etats Unis et d’autres pays. Personne n’a levé le doigt pour intervenir. En France, François Hollande a dit « Israël a le droit de se défendre ».

On ne respire pas et l’air qu’on respire est pollué.

Les familles gardent malgré tout, la volonté d’instruire leurs enfants. Les parents tiennent à ce qu’ils aillent à l’école, même quand ils n’ont plus de maison, même quand ils n’ont plus de vêtements. Les gens sont créatifs. Certains. Pas tous. 
Ce n’est pas donné à tout le monde. 
On voit des jeunes très déprimés qui proposent leurs services comme bénévoles à des associations d’aide à l’enfance. Ils cherchent le sourire sur le visage des enfants.

________________________________________________________


2 ♦
Dessiner pour exprimer

[ De Candide, Intermittent des sciences sociales, avec un dessin d’enfant de Gaza

envoyé par Najma, notre correspondante ] 

 

L’identification palestinienne vue par des enfants de Gaza

En sciences sociales, une question centrale se pose quant à la permanence des organisations sociétales. Déjà en son temps, Emile Durkheim (1858-1917) la plaçait au cœur de sa sociologie. Considéré comme le « père » de la discipline en France, son positivisme avançait l’éducation comme le moyen le plus sûr d’assurer la reproduction de toute entité sociale[1]. La façon dont un corps sociétal passe l’épreuve du temps, au travers des générations, consiste donc à transmettre d’amont en aval un ensemble de normes comportementales, de valeurs porteuses de sens et de rôles incorporés. Comment par exemple se comporter en homme ou en femme digne, et donc respectable, dans une société donnée, avec quelles règles morales et selon quels préceptes. Ces manières d’être impliquent ainsi une forme de croyance dans la raison d’être, voire la supériorité des valeurs en vigueur ici et maintenant (hic et nunc). Ce processus de passation est décrit dans ce que l’on appelle la socialisation[2], soit littéralement l’apprentissage des conventions qui permettent de vivre dans une société donnée, mais qui forment encore le socle sur lequel se fonde l’identité sociale, d’un individu comme d’un groupe. Si ce n’est qu’il s’agit aussi d’intérioriser ces normes et ces valeurs, donc de les faire siennes, ce qui implique de les défendre comme partie intégrante de soi-même.

Peut-on alors, en partant d’une activité enfantine, le dessin tel qu’il se pratique à Gaza sous les bombes, tirer quelques enseignements de la manière dont ces enfants expriment les expériences qu’ils subissent, tant socialisantes que désocialisantes.

 

Socialisation d’un peuple en lutte

A la manœuvre donc le socialisé lui-même, mais également des institutions essentielles à son accommodation[3] au cadre destiné à l’accueillir : la famille[4] au premier rang, mais encore l’école, le travail[5], le système politique[6]… l’armée, notamment lorsque le service militaire est un passage obligé et bien d’autres agents de la socialisation : pairs, personnalités charismatiques, modèles mis en exergue par le milieu environnant. En conséquence, la socialisation implique deux dimensions, la première plutôt passive pour l’individu sur lequel s’exerce toute la force contraignante des institutions et des agents dotés d’une autorité reconnue par le cadre sociétal. Cette dimension est extérieure aux personnes, qui ne choisissent aucunement ni le contexte ni l’entourage dans lequel ils sont amenés à vivre, mais elle est encore associée à une autre, plus interactive, par laquelle les individus entrent en contact délibérément avec autrui, choisissent de s’inspirer d’idéaux qui leur permettent d’orienter leurs conduites. Ainsi donc, par la manière d’appréhender, d’adhérer ou de résister aux contraintes collectives, mais aussi du fait des interactions imprévisibles, l’ordre social établi n’est pas éternel. Non seulement les coercitions se modifient avec les exigences du moment, mais plus encore l’agent social est aussi un acteur du changement.

Pour autant, le caractère imposé du processus décrit est aussi tributaire de l’âge, et donc de la dépendance qui lui est associée. C’est la raison pour laquelle on distingue la socialisation primaire de la socialisation secondaire. A la primo-socialisation correspondront l’ensemble des apprentissages fondamentaux, mais également les plus marquants pour l’avenir du futur adulte. Sans nier que lui succédera une socialisation tout au long de la vie, force est de constater que cette première étape de l’enfance restera déterminante dans la manière de se construire en tant que membre d’un groupe.

Voici pour le cadre général de la question que nous nous proposons de traiter dans ce texte, à savoir la manière dont on exprime, au travers de dessins, l’héritage inscrit dans l’histoire d’une population. Autrement dit, qu’en est-il de la transmission des problématiques adultes auprès des enfants de Palestine ? Peut-on considérer que s’inscrivent aujourd’hui, chez les plus jeunes, les ferments d’une continuation de la lutte engagée dès l’Entre Deux guerres mondiales au moins ?

En substance, quelles peuvent être les conséquences de cet affrontement pour les générations qui, demain, constitueront la population en charge du devenir de la société palestinienne ? Y a-t-il aujourd’hui, au travers des horreurs perçues par les plus jeunes, transmission de l’idée indépendantiste ou fuite dans des attitudes de survie ? Ces abominations vont-elles former le creuset d’une nouvelle intifada, la guerre des pierres contre l’une des plus puissantes armées du monde, ou au contraire amener à convaincre de l’inutilité de toute forme de résistance ? En un mot, ces expériences traumatisantes ne sont-elles que vectrices de désocialisation ou au contraire forment-elles une socialisation au sens plein du terme, y compris dans une démarche sacrificielle, celle des martyrs à la cause. Mais plus encore, ce schéma dichotomique ne doit-il pas être nuancé, discuté pour lui aménager des alternatives plus positives, comme la naissance d’une génération en quête de solutions pacifiques au dilemme : s’engager dans les aléas d’un combat sans visibilité temporelle ou renoncer pour un avenir tout aussi aléatoire.

 

Les enjeux d’une transmission-incorporation :

la lutte pour l’indépendance

On s’en douterait, il ne s’agira pas ici de répondre à des questions aussi lourdes d’implications, mais plus simplement de poser les termes d’un débat qui exigerait la mobilisation d’une vaste étude.

Les enjeux ne sont pas minces. Le conflit israélo-palestinien est habituellement daté à partir de la Nakba, soit la « catastrophe » en arabe, à savoir la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël le 14 mai 1948. C’est en effet le jour où pris fin le mandat du Royaume-Uni sur cette partie de l’ancien empire ottoman, un « protectorat » confié par la Société Des Nations (SDN), que les colons présents sur le sol palestinien décidèrent d’officialiser un processus de dépossession commencé bien en amont par l’achat des terres utiles à une majorité de paysans[7].

Depuis donc au moins 67 années que dure cette inversion des rapports de force, deux peuples se font face avec une même volonté de s’inscrire pour les uns, de se maintenir pour les autres, sur un même territoire. Une première vague d’exode massif a été enregistrée dès 1948 avec la « Guerre des 10 jours », où l’avancée sioniste a poussé entre 750 000 et 850 000 palestiniens sur les routes. Lors d’une nouvelle guerre en 1967, dite des « Six jours », la situation se complexifie encore avec l’occupation pure et simple de ce qui restait de la Palestine encore non conquise par Israël[8]. De par ces évènements, parmi nombre d’autres, plusieurs vagues de réfugiés viennent s’ajouter à ceux de la Nakba.

Ces départs ont fait l’objet de multiples controverses, dont trois thèses principales pour les expliquer. La première est le produit des historiens israéliens pro-sionisme, qui ont avancé l’idée d’un choix délibéré à la suite de l’appel de dignitaires locaux. Il se serait agi alors de mieux préparer un retour victorieux à la suite des combats. Des allégations mensongères pour nombre de leurs collègues arabes, dont palestiniens, qui leur opposèrent une toute autre théorie, celle du déplacement devant la terreur exercée à cet effet par les trois groupes armés sionistes, quand il ne fut pas question d’expulsions directes et forcées. La dernière interprétation a été rendue possible par l’ouverture de documents d’archives, britanniques et israéliens, en 1988. A partir de cette date, la fuite volontaire est devenue beaucoup plus difficile à tenir, tant il apparaissait évident qu’un plan de longue date avait été mis en application dès 1947, avec pour projet le transfert de la population palestinienne, notamment vers l’Irak. Ce sont en particulier ceux que l’on a dénommés « nouveaux historiens israéliens » qui ont mis en exergue cette troisième approche, ce qui rehausse d’autant la valeur de ce renouveau scientifique.

Une partie de ces « transférés » a pris le chemin d’un exil extérieur à la Palestine, quand d’autres sont venus se grouper dans des camps de fortune. Selon les données recueillies par l’historien, poète et essayiste palestinien Elias Sanbar[9], sur quelques 1 400 000 palestiniens de mai 1948, 112 000 resteront installés dans ce qui devient alors l’État d’Israël, alors que 423 000 se retrouveront entre Gaza et la Cisjordanie, et 854 000 autres seront cantonnés dans des camps disséminés entre l’ancien territoire palestinien et plusieurs États limitrophes, dont principalement la Jordanie, le Liban et la Syrie.

Malgré ce déracinement, depuis donc près de 70 ans, les palestiniens continuent de revendiquer leur droits, arguant pour les uns des documents qui en faisaient les propriétaires de biens fonciers abandonnés par la force des expulsions, alors que d’autres exhibent hauts les clés des maisons perdues. Il y a ainsi une conscience palestinienne qui perdure dans l’espoir qu’un jour non seulement le droit international leur sera reconnu dans les faits, mais plus encore qu’une entité politique et territoriale renaîtra en pleine indépendance, au-delà donc de l’Autorité palestinienne que les accords d’Oslo, en 1993, ont fait émerger sous l’étroit contrôle d’Israël.

 

CB photo cle Aida 
La clé monumentale de l’entrée du camp de réfugiés d’Aïda, dans la banlieue de Bethléem. Photographie de Candide

 

Enfants dessinateurs de gaza assiégée

L’optique ici consiste donc à partir de réalisations enfantines. La Forge a en effet établi un contact avec une palestinienne installée dans la Bande de Gaza. Titulaire d’un Master Eau et environnement obtenu auprès de l’Institut de l’eau et de l’environnement à l’Université El Azhar de Gaza, cette ingénieure en chimie industrielle a recueilli un corpus de dessins réalisés par des enfants âgés de 7 à 13 ans à la suite de la dernière déflagration qui a touché ce bout du monde.

Gaza, c’est en effet un des territoires, si ce n’est LE territoire le plus densément peuplé à travers la planète. En 2014 on y dénombrait 1 816 000 habitants, environ… pour 360 km2, soit quelque-chose comme 5 000 habitants au km2. C’est encore une bande terrestre de seulement 41 km de longueur sur 6 à 12 de largeur, coincé entre la mer Méditerranée et les cordons militarisés d’Israël : une « zone interdite », doublée d’une « zone à haut risque ». C’est enfin l’espace où la présence des camps de réfugiés est la plus concentrée[10] et les conditions de vie les plus difficiles de la région, notamment du fait des mesures d’embargo exercées par le puissant voisin. D’après un gazaoui, il n’est même pas possible de parler de prison à ciel ouvert, le ciel étant lui aussi spécialement surveillé par un réseau de satellites, de radars, d’avions militaires et de drones.

 Le contexte de ces traits de crayon est à l’image du vécu sur place : guerrier. Ils font suite en effet à la nouvelle attaque de Tsahal durant les mois de juillet et d’août 2014. Comme en 2008-2009, des tirs aveugles de roquettes sur le territoire israélien, probablement issus des groupes paramilitaires palestiniens du Hamas et du Jihad islamique, provoquent une riposte disproportionnée, via des raids aériens extrêmement meurtriers qui touchent essentiellement la population civile, déjà largement affectée par de multiples privations. Ces bombardements sont suivis d’une offensive terrestre lancée le 18 juillet. En affirmant vouloir faire cesser les tirs, démanteler les réseaux de tunnels creusés sous la frontière et interrompre les approvisionnements en armes sur le territoire de Gaza, l’armée israélienne conforte également le blocus de ce maigre espace, mené depuis 2007, aussi à l’origine des tirs de roquettes. Le bilan est lourd avec, selon les sources, de 1 700 (Tsahal) à plus de 2 100 (Centre palestinien pour les droits de l’Homme) victimes, dont au moins 50 à 60% de civils (Tsahal), mais peut-être aussi 80% (Ministère de la Santé de Gaza).

Déjà l’offensive précédente avait provoqué la destruction de 18 écoles et l’endommagement de 281 autres sur 933 existantes avant l’opération. Du côté des hôpitaux 15 ont été touchés sur 42 et 43 cliniques parmi 153. Le désengagement militaire israélien de 2005 n’aura duré qu’entre une et deux années avant l’établissement progressif du blocus qui commence avec la capture d’un militaire de Tsahal en juin 2006. Parmi les mesures de rétorsion, la zone de pêche établie à 20 miles, suite aux accords d’Oslo, a été réduite de moitié, puis encore restreinte à 6 miles. Cette punition collective a provoqué, entre autres effets, l’effondrement des tonnages de la pêche gazaouie, de 292 tonnes en avril 2007 à 79 tonnes deux ans plus tard. Conséquence directe, on est passé de 53% des habitants en situation d’insécurité alimentaire en 2006 aux trois quarts en 2009. Ainsi, 70% de la population vit aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté et 42% des actifs sont au chômage[11].

Que disent maintenant ces dessins ? Sur 18 planches, seule une semble dénuée de connotation guerrière explicite, mais elle affirme un symbole fort avec le toit de la maison représentée, aux couleurs du drapeau palestinien. Cette bannière a en effet à ce jour un rôle de ralliement fondamental dans l’expression nationale. Interdite en Israël, la réunion des couleurs palestiniennes fait ici figure d’affirmation symbolique en l’associant à la couverture du foyer. Un autre de ces dessins montre le drapeau solidement planté dans le sol à côté d’un arbre, comme pour affirmer « ici est la Palestine ». On trouve d’ailleurs cet étendard, clairement dessiné, sur plus de la moitié des représentations. Mais la plupart des planches sont beaucoup plus violentes dans ce qu’elles expriment. On y voit des bombes s’abattant sur les habitations, lancées à partir d’avions ou d’engins assimilables à des drones, des civils au sol attendant les projectiles et quelques-uns résistant aux blindés avec des armes légères. Une autre thématique est constituée par la présence de la mer, sur 4 autres dessins, avec des embarcations légères, parfois également bombardées et répliquant avec les mêmes armes légères. Enfin, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’une des planches figure une véritable bataille rangée entre chars et fantassins. Tout y est : les roquettes, les avions de chasse israéliens, les drones… 

Il n’est pas nécessaire de décrire plus précisément ces dessins pour en tirer la conclusion d’une omniprésence de la guerre et de l’affirmation identitaire palestinienne. Dans leurs descriptions enfantines, les auteurs se posent en victimes, parfois résistantes, mais toujours en affirmation de leur identité palestinienne.

Bien évidemment, il conviendrait de disposer d’informations moins parcellaires sur les dessinateurs, le contexte précis de réalisation, voire des entretiens approfondis afin d’aller plus loin dans l’interprétation. L’objectif n’est pas davantage ici de considérer a priori ces réalisations comme représentatives de ce que la jeunesse palestinienne de Gaza pourrait donner à voir de ses affects.

Pour autant, et sans présager de ce que deviendra cette lutte dans l’avenir, ces quelques dessins d’enfants gazaouis ne semblent pas annoncer la résignation, mais au contraire un fardeau assumé dans la douleur.

 Dessin enfants gaza
La planche n°1, photographiée et envoyée par Najma
 de Gaza, décembre 2014

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[1] Cf. Education et sociologie, Paris, PUF, 1968, « Le sociologue », (première édition, posthume, en 1922).
[2] Cf. Dominique Bolliet et Jean-Pierre Schmitt : La socialisation, Rosny, Bréal, 2002, « Thèmes & Débats ».
[3] Cf. Jean Piaget : La représentation du monde chez l’enfant, Paris, Quadrige & PUF, 2003 (1ère édition : PUF, 1926).
[4] Cf. Martine Ségalen : Sociologie de la famille, Paris, Armand Colin, 1981, « U : Sociologie ».
[5] Cf. Claude Dubar : La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991, « U ».
[6] Cf. Philippe Braud : « La socialisation », in Sociologie politique, Paris : LGDJ, 1992, « Manuel », pages 153 à 191.
[7] Les plus modestes de ces exploitants ne détenaient pas la propriété foncière de leur outil de travail lorsque le projet sioniste entama une politique d’acquisition auprès des grandes familles, notamment libanaises, qui avaient investi dans ce patrimoine.
[8] Les nouvelles conquêtes de l’État hébreu se font sur une défunte Palestine, occupée par la Transjordanie, devenu ensuite royaume de Jordanie, pour ce qui concerne la Cisjordanie et l’Egypte pour la Bande de Gaza.
[9] In Les palestiniens dans le siècle, Paris, Gallimard, 2007, (première édition : 1994), « Découverte », ici pages 56 et 57.
[10] 180 000 personnes s’y sont retranchées en 1948.
[11] Données issues de Pierre Blanc, Jean-Paul Chagnollaud et Sid-Ahmed Souiah : Atlas des palestiniens. Un peuple en quête d’État, Paris, Autrement, 2014, pages 60 et 61.



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