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Al Arroub – مخيّم العروب

 

0 ♦ Al Arroub, Camp de réfugiés palestiniens
1 ♦ Jehan, avec Samira, Yaser, Mohamad, Denis Lachaud
2 ♦ Jehan, marionnettiste, Valérie Mochi Uttscheid
3 ♦ Les larmes de Jehan, Candide
4 ♦ Grand-mère Zainab Marie Claude Quignon
5 ♦ La vie continue, les femmes d’Al Aroub à Orly, La Forge


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© Olivia Gay


0 ♦ Al Arroub, camp de réfugiés palestiniens,
en Palestine

Situé à 15 km au sud de Bethléem dans le Gouvernorat de Hébron, le long de la route principale Hébron – Jérusalem. 
Créé en 1949. Établi sur 0,24/0,35 km2. Originaires de 33 villages de Ramleh, Hébron et Gaza. 10.400 réfugiés enregistrés 12 000 habitants. Tous les abris sont reliés à l’eau publique et à l’infrastructure de l’électricité. Un abris sur cent n’est pas connecté au réseau public d’assainissement et par conséquent, a des latrines qui se déversent dans les fosses d’aisance. Le taux de chômage de 30 % est affecté par l’inaccessibilité accrue du marché du travail israélien.

Avec :
Trois écoles. L’école des garçons fonctionne sur une base de deux équipes. Un centre de distribution alimentaire. Un centre de santé. Le Comité populaire des réfugiés. Le Centre Phoenix. Le Centre social de la jeunesse. Le Centre des femmes et son atelier de broderie.
Les femmes et les centres de jeunes sont particulièrement actifs dans le camp Arroub. Ils organisent des manifestations sportives et culturelles ainsi que la formation.

Principaux problèmes : Le chômage élevé, les écoles surpeuplées, le manque de réseau d’égouts, les incursions militaires israéliennes occasionnelles.

Lié au Comité Orlysien de Solidarité avec le Peuple Palestinien

Et notre correspondante là-bas : Jehan

  © Olivia Gay

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1 ♦ Jehan, avec Samira, Yaser, Mohamad

[- De Denis Lachaud. Jehan du camp d’Al Arroub et Samira rencontrent Yaser

et Mohamad autour d’une table. 24 septembre 2014 –]

– Je viens de Haifa, mes grands-parents étaient originaires de Haifa.
– Ma famille aussi.
– Ah oui ? Où à Haifa ?
– Jamous.
– Vraiment ! On était voisins… Vous êtes venus comment ?
– On est un groupe de rap, on est venus faire de la musique.

SAMIRA : Jehan vit à al Aroub. Al Aroub se situe près de al Halil (Hébron) – on est en train de redonner les noms arabes aux villes. On ravive les noms d’origine. 
Jehan est une immigrée de l’intérieur. Moi je suis une immigrée de l’extérieur.  Mes grands-parents sont partis de Haifa à Latakieh, au nord de la Syrie. J’ai grandi là-bas, dans un camp. Latakieh beaucoup plus petit que Yarmouk.
Je suis arrivée en France pour faire un doctorat de Physique-Chimie. Et je ne suis pas rentrée, je me suis mariée. Je suis restée. Je n’ai pas trouvé de travail dans la recherche, je me suis occupée de mes enfants. Aujourd’hui, j’enseigne les maths dans un collège public à Choisy le Roi.

JEHAN : J’ai rencontré François (de La Forge) quand il est venu à al Aroub. Il a demandé pour moi à la mairie de Montataire où je pouvais faire un stage de marionnettes. Chez moi, je travaille avec des enfants, dans une ludothèque. Ils ont entre six et vingt ans. On organise des colonies de vacances mais aussi des conférences. Avec les enfants, on fabrique des marionnettes avec trois fois rien – à partir d’une cuiller en bois par exemple. Ça peut être aussi des marionnettes dans lesquelles on passe le bras. En dehors des vacances scolaires, le centre est ouvert après l’école.
Le stage à Montataire, c’est pour apprendre de nouvelles techniques. Je ne sais pas ce que je vais apprendre. Je vais suivre les répétitions d’un spectacle qui parle de l’occupation nazie et d’une femme qui résiste.
Moi je ne conçois pas de spectacles en tant que marionnettiste. Je n’ai pas les moyens. 
J’ai appris à fabriquer les marionnettes au Liban, pendant un stage. Le matériel était fourni par une entreprise. Donc on a pu fabriquer. Mais d’habitude, à al Aroub, on n’a rien. Je travaille bénévolement. Avant, le comité du camp me payait, mais plus maintenant. Depuis deux ans. Il n’y a plus assez de fonds. On me donne le local, c’est tout.
Même si on ne nous donne pas de moyens, on ouvre le centre. Il n’y a rien dans ce camp et al Halil, Ramalllah ou Bethleem c’est trop loin. Les enfants ont des besoins, ils doivent respirer, oublier les problèmes liés à la guerre. Voilà ma motivation.
Tous les enfants me connaissent. Ils passent par le centre, je sens qu’ils ont besoin de ça. Les marionnettes transmettent des messages aux enfants. Ils ont plein d’idées. Je suis heureuse de les entendre. 
On nous a donné un petit théâtre. On prépare des spectacles avec les enfants. Ils parlent des différents sujets qu’ils proposent. La majorité traite de leur souffrance par rapport à l’occupation, surtout quand ils ont de treize à seize ans.. Les sketches racontent ce qu’ils vivent au quotidien. Il y a souvent des soldats israéliens parmi les marionnettes. Une cuiller de bois entourée d’un tissu vert, c’est un soldat israélien.

*

MOHAMED : Depuis la dernière fois qu’on s’est vus (mars 2014), nous avons obtenu la carte de séjour de dix ans en tant que réfugiés politiques. Le GISTI nous a aidés.
YASER : On a fait beaucoup de concerts à Paris, à la Bellevilloise, au New Morning… On a sorti un album sur iTunes : L’Age du silence. On est allés à Marseille pour participer à une conférence. On a fait trois concerts. On a rencontré un membre du groupe I Am.
YASER : on a participé à un atelier pour lancer des collaborations avec des rappeurs français.
MOHAMED : … et on suit nos cours de français, bien sûr. On comprend mieux, on parle mieux. On arrive à tenir des conversations sur des sujets généraux.
La situation s’est améliorée à Yarmouk depuis six mois. L’ONU a envoyé des aides. Les associations ont pu entrer dans le camp. Le nouveau problème, c’est l’eau. Il n’y a plus d’eau à Yarmouk et comme le siège existe toujours, c’est difficile de sortir pour en chercher.
Quand on raconte notre histoire à des rappeurs, ils sont choqués. Le fait que notre carrière a été brisée en Syrie et qu’on a continué, malgré tout, ça redonne de l’énergie à certains d’entre eux qui perdaient leur motivation.

Samira écoute un morceau de Refugees of rap.
–    Vous ne le faites pas en français ?
–    On va le faire.
–    Il faut le faire, c’est frustrant pour les gens, de ne pas comprendre.
–    Il faut faire les deux. En arabe et en français.

MOHAMED : La vie ici, ça nous plaît. On connaît mieux la culture, la langue. La vérité c’est qu’on n’aime pas beaucoup Paris. On a visité le sud, c’est moins stressant, les gens sont sympas.
YASER : Notre situation change vite. On n’a plus de problèmes de papiers. On veut retourner à l’université. C’est comme ça qu’on trouvera vraiment notre place. Moi je veux étudier l’infographie et Mohamad, la sociologie.

Samira LAR201409244445 S, Jehan LAR201409244422 S, Yaser et Mohamed   EL Refugee GS / Photo d’Eric Larrayadieu

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2 ♦
Jehan, marionnettiste

[- Réalisation Valérie Mochi Uttscheid : Jehan, marionnettiste passionnée, rencontrée lors de notre première mission, est venue du camp de réfugiés palestiniens d’Al Arroub pour suivre au Palace de Montataire la création de la compagnie Des Petits pas dans les grands . 25 avril 2015 –]

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3 ♦
Les larmes de Jehan

[- De Candide, Intermittent des sciences sociales. 24 fèvrier 2015 –]

L’objectivation entre parenthèses. 

Qu’on nous permette, une fois, de ne pas « faire son sociologue », de sortir quelque-peu du cadre, d’exprimer donc des ressentis subjectifs. C’est un souhait pour le « pas de côté » qui rompt le contrat, en quelque-sorte, avec la mission de fournir une analyse un tant soit peu scientifique à notre petite bande de trublions. Mais ce faisant, on retombe de plain-pied dans la sociologie la plus actuelle, qui fait une place de choix à la réflexivité du chercheur sur lui-même, à ses émotions, ses partis-pris, bref à son humanité banale et ordinaire d’acteur social. Ainsi donc, tant pis pour la renonciation sociologique. Même lorsqu’on souhaite la sortir par la porte, il subsiste toujours une lucarne par laquelle elle réapparaît : cette sociologie. Il s’agira donc ici d’évoquer une interaction, mais en faisant abstraction d’un cadre théorique par trop objectivant et de références académiques comme il se doit.

Sciences et arts : raisons et émotions

La Forge est un collectif d’artistes et de personnalités plus littéraires, auquel viennent se joindre des « scientifiques », dont je suis. Tout au moins c’est le rôle qu’on me confie et que je tente de tenir. Cette composante n’est pas convoquée pour faire sérieux, pas seulement. L’idée initiale des fondateurs forgerons consistait à penser que les arts et les sciences avaient à entretenir de fructueux échanges. C’est au final le projet de l’art contemporain, qu’on dit « conceptuel » et qui l’est assurément par certains de ses aspects. Lorsque par exemple Michel Aubry s’engage dans le néo-chamanisme pour nous fournir son regard sur le Vercors contemporain, il y a chez cet artiste la volonté de « déconstruire » les relations mystifiantes que certains des habitants entretiennent avec la nature de ce massif préalpin. Mais en même temps, son œuvre, sous la forme d’une performance chorégraphique mimant la danse du chaman[1], ne juge pas cette part de mystification. Il ne s’agit pas pour lui de démontrer le caractère profondément post-moderne de la vie au grand air, dans un cadre qui s’y prête il est vrai particulièrement bien. Pas plus de dénoncer un naturalisme véhiculé par les classes moyennes cultivées. Tout en montrant que cette attraction pour le fusionnel, une nature intime et qu’on veut croire transcendante, n’est que l’une des facettes trouvées par nos sociétés « avancées » pour exprimer la déception à l’égard du « progrès », il rejoint bien la préoccupation des scientifiques, anthropologues notamment, qui brisent l’opposition radicale entre nature et culture. Ce dualisme géniteur de civilisation conquérante ne serait que la manière de faire d’un Occident dominateur et rien de plus.

En bref, les artistes sont aussi des théoriciens du monde qui se déroule sous nos yeux. Par leurs productions, ils nous disent, avec leur sensibilité, bien davantage que ce que le verbe vise à traduire. S’y ajoute en effet l’émotion que suscite une inspiration géniale. Car à l’inverse du chercheur patenté, l’artisan bricoleur de mythes ne rejette pas ce que la raison peine à totalement expliquer. L’œuvre est donc à sa manière plus d’un décorticage partiel et partial de la réalité. Elle soulève un coin du voile à propos de cette réalité, en y laissant habilement ce qu’il faut d’insondable pour parfaire une réalisation qui devient par là artistique. A ce titre elle a à voir avec la démarche scientifique.

Quant aux représentants de cette dernière, ils savent trop bien l’importance des mots, de leur organisation parfois mélodieuse, du style idoine à la démonstration qu’ils veulent servir, entre autres raisons… pour ne pas se faire d’illusion sur une certaine artialisation de la science. Il y a bien des manières de contourner l’administration de la preuve par de subtils jeux de passe-passe langagiers, de formules fracassantes, mais au final peu étayées. Même lorsque la démonstration se drape dans une batterie de chiffres et d’analyses factorielles plus poussées les unes que les autres, l’évidence s’impose : les chiffres sont affaire de construction. Alors pourquoi vouloir précisément opposer les arts, la littérature et les sciences, si ce n’est pour protéger des prés carrés déjà bien gardés. Le langage de l’artiste, de l’écrivain et du scientifique peuvent se rencontrer pour offrir de nouveaux angles de vue. 

Une palestinienne devant la télévision picarde 

Et c’est exactement ce qui se réalise avec les productions qui, notamment chez les forgerons, bravent non seulement nos a priori, mais encore interpellent la réflexion. Un exemple en a été donné avec un dessin et l’échange qui s’en est suivi entre son auteur et sa réceptrice, choquée aux larmes. 

Jehan est une jeune palestinienne qui vient en France pour la troisième fois. C’est suffisamment rare pour être souligné. Une femme réalisant seule le déplacement à Paris n’a rien de commun pour cette population de réfugié-e-s. Elle est mariée, mais avec un époux suffisamment tolérant pour l’autoriser à rassasier sa boulimie de découverte du monde. Dans le contexte culturel où elle vit, il n’est pas facile d’être femme et sans rattachement au genre masculin. C’est un fait avec lequel elle compose selon les normes en vigueur dans sa société.

A la même époque, soit pendant l’automne dernier, La Forge organise la célébration de son vingtième anniversaire. Certes pas une commémoration, mais encore et toujours une mise en acte de son principe fondateur : agiter les neurones par les sens. L’occasion se présente par l’opération lancée à l’initiative du Conseil régional de Picardie : « Invitation d’artistes ». Occasion aussi de reconstituer les moyens d’engager d’autres actions. Il faut bien vivre en l’absence du 1% pour les arts irrécupérables[2]. La rétrospective doublement décennale proposée par La Forge met en scène un certain nombre de productions exposées là, justement à La Forge, son siège social dans la Somme. C’est une drôle de brocante, faite d’objets détournés de leur destination originelle et par là originaux. On y trouve encore des textes décapant, des « couseries » qui causent, des dessins qui frappent.

CB jehan image 1

Jéhan, happée par notre GO (Gentil Occiput) qui a d’emblée saisi l’opportunité de faire du sens avec notre projet palestinien, est embarquée dans l’aventure. Ca tombe bien puisque ce mardi 23 septembre 2014 la web tv picarde nous rend visite pour un reportage promotionnel. On ne posera pas ici la question de savoir ce qui, de la manifestation artistique ou des arts communicationnels, fait l’objet de la promotion. Mais il faut du monde pour l’image télévisuelle.

Avant l’arrivée de la boite à images Jéhan nous quitte et revient parée d’une tenue, dont on ne peut pas douter qu’elle vise à nous faire honneur. Il y a des circonstances où l’on est amené à se dire que les polémiques sur le foulard ont un côté malentendant. La signification est ici assez claire pour qu’on n’y ressente pas la marque d’une oppression masculine et c’est heureux. Pendant toute la durée du tournage la jeune palestinienne restera le buste droit, acceptant de se prêter de bonne grâce aux sollicitations du caméraman, à la fois preneur de son et metteur en scène. C’est une forme de ronde-défilé qu’elle accepte sans broncher, dans une attitude profondément respectueuse pour cette danse circulaire dont elle n’a probablement (et tout comme nous) pas compris toute la logique imagée.

La promotion réalisée, les images mises en boite pour la postérité[3], le collectif assiste au savoir-faire de Jéhan en matière de couture. Puis viennent les cadeaux qu’elle a apportés pour ses rencontres en France. Ce sont des housses en tissu brodé destinées à protéger les téléphones portables. Geste symbolique, mais aussi message implicite : les boites à paroles ne sont pas l’apanage des pays abreuvées de technologie. C’est l’une de ses sœurs qui fabrique ces pochettes pour joindre les deux bouts, et en lui dévalisant son stock Jéhan contribue un peu à les rapprocher.

La patience dont elle fait preuve pendant le tournage ne doit pas surprendre. Jéhan s’est mise en posture de représentation. Elle est l’image de la Palestine pour le public qui verra ces images. Un rôle qu’elle prend très au sérieux.

Les yeux de Jéhan

Se dégage de cette jeune femme une série de paradoxes. Plutôt petite, elle s’impose au regard par sa « présence ». Un terme bien trop imprécis pour les sciences sociales, mais qui lui aussi s’impose à la pensée. Ce n’est pas ce qu’elle dit qui inspire cette remarque : Jéhan est plutôt silencieuse. Complaisante à l’égard de ses hôtes, elle sait pourtant faire comprendre les lignes qu’elle n’entend pas dépasser. Le lapin préparé pour le repas avait pour désavantage de ne pas être halal. Qu’importe donc sa saveur odorante. Les mains, qu’elle a régulièrement posées l’une au-dessus de l’autre, dans une position d’attente, pourraient laisser croire qu’elle se soumet à l’ordonnancement de la journée. Il n’en est rien sitôt que l’on observe ses yeux. Un regard qui en dit long. Il s’y mêle fierté et tout à la fois humilité sitôt qu’une occasion de découvrir se propose à elle. Farouche quand elle se croit non regardée, elle sourit sans effort à chaque sollicitation. Projection ou réalité, le regard de Jéhan semble exprimer toute l’ambivalence d’une vie palestinienne, entre méfiance aguerrie et désir d’ouverture sur le monde.

Pour le moment, partons de l’hypothèse prudente que toutes ces sensations diffuses ne seraient qu’affaire de projection. Elles ne relèvent peut-être que d’un processus d’apposition, quant à des représentations communes pour des français, qui trouvent à se vérifier faussement dans les faits et gestes d’une Palestine incarnée par des stéréotypes.

Sauf que le regard de Jéhan va se ternir à la vue d’une affiche. Cette dernière montre une scène utopique, fruit de nos idéaux pacifistes. Un jeune homme se tient à califourchon sur le mur de Berlin. La photo a été prise lors de sa chute en 1989. Mais cette image d’archive est ici détournée par l’ajout de deux drapeaux, comme si l’homme tenait d’un côté les couleurs d’Israël et de l’autre celles de la Palestine. Le graphiste qui a réalisé ce montage s’explique sur ses intentions, profondément choquantes pour Jéhan. Il s’agit bien de promouvoir le dépassement des antagonismes, la réunification territoriale et la paix. Cette fois Jéhan s’effondre et ses yeux se mouillent. Calé contre un mur son corps se rétracte dans une attitude de repli. C’est notre traductrice d’origine arabe qui nous expliquera le fossé qui sépare Jéhan de nos rêves éveillés. Partager le territoire, y compris pour en restituer les droits perdus aux palestiniens, ceci est proprement incompréhensible pour elle. Cette terre leur a été confisquée, tente-elle d’expliquer. Il ne saurait être question de la partager. L’injustice est trop flagrante pour qu’elle puisse tolérer un mieux être, au prix d’une perte. Dans la voix étouffée de Jéhan on entend la douleur des années de violence et d’humiliation ressenties. On mesure surtout le chemin à parcourir pour que cesse l’incompréhension, à commencer par la nôtre. Mais pour Jéhan et les siens, nul doute qu’il faudra une génération de paix afin de dépasser l’inadmissible.

mur

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[1] Inaugurée le samedi 27 septembre 2014, à Saint-Jean-en-Royans.
[2] Entendons par là que leur « utilité » n’est pas directement exploitable pour servir la croissance, qui est au fondement de nos systèmes économiques.
[3] http://webtv.picardie.fr/video5882.

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4 ♦
Grand-mère Zainab

[ Marie Claude Quignon : suite du journal de voyage en Cisjordanie – avril 2015-
à la rencontre de femmesdans les camps de réfugiés de Palestine, produire du sens plastique à partir de ces rencontres… Voir aussi “Unité de béton” ]

ZainabMCQZainab1

Camp d’Al Arroub, Jehan que nous avions reçue à La Forge et qui était venue faire un stage de marionnettiste à Montataire dans l’Oise, nous reçoit, elle veut nous présenter sa grand mère qui a subit la Nakba, a été chassée de sa maison en 47. Jehan nous rapporte qu’elle a pris un brave touriste anglais au col, lui reprochant sa situation de réfugiée. Elle vit avec ce retour promis, “dans 2 jours” leur disait-on à l’époque. Cette femme est belle, elle souhaite mettre sa robe brodée pour La Photo :

 

LAR_Jehan Message de Jehan

du 9 novembre 2015

Dans le camp d’Al-Aroub
Nous sommes ici avec une vie inacceptable, mais nous sommes inébranlables et nous n’avons pas peur bien que chaque jour, nous sommes exposés à l’inspection par des soldats israéliens, debout des heures sous la pluie.

La nuit dernière mon neveu a été frappé, a été touché à la main, et nous espérons peu de difficulté à sa cicatrisation. 

Nous vivons une journée difficile avec l’occupation.

J’ai du quitter mon travail à Ramallah, parce que je ne peux plus y aller tous les jours à cause des mauvaises routes et des points de contrôle israéliens.

Zainab, son histoire 
Dans leur propre pays, la Palestine, en 1947 et 1948, les Citoyens palestiniens sont soumis à l’oppression des milices sionistes. Harcèlements, intimidations, violences, massacres les conduisent à quitter leurs terres pour se réfugier dans d’autres zones géographiques, comme la Cisjordanie qui était sous contrôle de l’armée jordanienne, après la fin de la guerre en Palestine et la deuxième trêve de Rhodes en 1949.

Grand-mère Zainab est donc partie espérant toujours revenir chez elle dans sa région d’Iraq Al Manshiya. 

Elle a 14 ans et vient vivre avec sa famille dans le camp de réfugiés d’Al-Aroub (entre Betlehem et Hebron). 

Quand ils ont été expulsés de leurs maisons, ils ont tout perdu. Elle dit que leur plus dure souffrance, vient de l’oppression des Israéliens. 

Ils vivent ici dans le camp, dans des tentes pour échapper à la pluie, la neige, avec le froid et la faim, en pensant retourner dans leurs maisons.

Elle s’est mariée ici et n’a donné naissance qu’à une seule fille. Plusieurs années après, son mari a épousé une autre femme pour qu’elle lui donne des garçons, mais le mari est mort, et, après un certain temps, elle est tombée malade. La seconde épouse est morte et a laissé grand-mère Zainab seule, visitée par la famille et les voisins, régulièrement pour pouvoir à ses besoins.

Elle dit qu’elle veut être enterrée dans son pays natal, Iraq Manshiya, d’où elle a été expulsée par l’occupant. Elle est maintenant âgée de 82 ans.

Notes de Jehan 
Iraq Manshiya, situé à environ 32 kilomètres au nord-est de la ville de Gaza, est un village de palestiniens qui a tenu bon pendant l’année de la Nakba et jusqu’en 1949 sous les bombardements et la destruction grâce aux bénévoles du village et à l’armée égyptienne et les Soudanais. 

Les bandes armées sionistes après l’accord de Rhodes ont conduit au déplacement de la populations, à la démolition du village, totalisant environ 2 332 personnes, et, sur les ruines, les sionistes ont établi la colonie de “Kiryat Gat” .

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5 ♦
La vie continue, les femmes d’Al Aroub à Orly

[-Exposition de La Forge “La vie continue” avec le Comité Orlysien Palestine : Gala de solidarité pour “Santé-Femmes du Camp de réfugiés d’Al Aroub” au Centre culturel Aragon Triolet d’Orly, mardi 22 novembre 2016 -]

 






Photographies de Philippe Fassier

Programme du Gala de solidarité : 

Avec  “La vie continue” création graphique de Nous Travaillons ensemble et “Les Palestines“, cartes textiles de Marie-Claude Quignon avec Jehan Badwi (d’Al Aroub), Lulwa Al Sarraj et Frédéric Blaind. Et l’affiche de la Clé/Résolution 194…

Concert, chants et musiques de Palestine avec les Ensembles Alquds, puis Al Kamandjati.

Avec Radio Arts-Mada. Et un échange par Skype avec Al Aroub

Une soirée culturelle pour la santé des femmes du camp, pour soutenir le projet du COSPP(1), projet élaboré, mise en œuvre avec les femmes palestiniennes du Centre social du camp de réfugiés d’Al Aroub(2) et France Pal Med(3), en partenariat avec Al Shaymaa(4)

Objectifs

Ce projet a deux objectifs : le renforcement des compétences médicales en cancérologie par les équipes soignantes des hôpitaux publics du district d’Hébron et la mobilisation des palestiniennes pour la préservation de leur santé et spécifiquement la prévention de la santé et le traitement du cancer du sein.

État de fait

L’enfermement sécuritaire et arbitraire des camps de réfugiés en zone C de Cisjordanie, tel que celui du camp d’Al Aroub touche cruellement les palestiniennes. Incursions militaires, mur de séparation, démolitions de maisons, emprisonnements des maris, fils, frères… Cet enfermement est spatial, militaire, administratif et économique. Les femmes sont confrontées à la violence extérieure de l’enfermement du camp et à l’intérieur du foyer, elles assument le quotidien familial brisé par ses conditions extérieures si anxiogènes et funestes. La prise en compte de leur propre santé est souvent secondaire pour elles, alors qu’elles ont un rôle familial et social pivot dans la société palestinienne. 

D’autre part, l’actualisation des connaissances médicales concernant les cancers féminins du côté des praticiens de santé appellent des besoins de formation continue, étant donné les diagnostics médicaux erronés ou tardifs qui ne permettent pas de dépister, traiter les cancers féminins. 

Actions

Cet état de fait, partagé par les femmes du centre social du camp d’Al Aroub mais aussi par les médecins palestiniens, les ont amené à réfléchir ensemble à la mise en place de ce projet.

Par l’action de l’équipe des femmes du centre social, un questionnaire a été rempli par les femmes du camp d’Al Aroub. Il va permettre de connaitre comment les femmes s’occupent de leur santé, et de mettre en place une campagne de prévention du cancer du sein et de son dépistage, la venue en stage d’actualisation des connaissances concernant le cancer, de deux médecins de l’hôpital d’Hebron et de Jérusalem.

Acteurs

1) COSPP – Comité orlysien de solidarité avec le peuple palestinien – est une association d’une soixantaine d’adhérents, créé en 2002. Le Comité a déjà participé à des financements solidaires en direction de l’école élémentaire des filles d’Al Aroub, accueilli des délégations de jeunes. En 2014, Il a organisé la venue pour la première fois de brodeuses palestiniennes au Salon International des Arts du Fil de la Porte de Versailles. 

2) Centre social du camp d’Al Aroub accueille près de 2 à 3000 femmes du camp, situé en Cisjordanie au nord d’Hébron. Il est géré par l’UNWRA. 

3) Pal Med est une association de médecins palestiniens en Europe reconnu par l’Union Européenne. 

4) Al Shaymaa est une fondation crée à Hebron pour développer l’éducation à la santé, à la prévention et au dépistage des cancers féminins.

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